L’élargissement au gabarit Freycinet
Alors que la Révolution industrielle bat son plein, que les usines poussent comme des champignons, que les villes s’agrandissent, une nouvelle question se pose à propos des canaux français, et donc du CRD: celle de leurs dimensions.
Il n’y a pas qu’en France que de gros bassins miniers et industriels se développent. C’est aussi le cas en Belgique ou aux Pays-Bas, par exemple, qui profitent également de leurs énormes ports maritimes. Et pour favoriser le fret fluvial, ils ont élargi leurs canaux qui accueillent des bateaux 2 fois plus gros que les français, ce qui a baissé le coût du transport et donc des matières premières. Voilà t’y pas que Paris veut se procurer du charbon belge et délaisse celui des mines françaises! et idem pour la fonte et l’acier qui, je vous le rappelle, est de plus en plus utiliser pour les grandes constructions à partir des années 1860/70.
Le gouvernement de la toute jeune IIIè République décide de réagir. Un nouveau plan est élaboré par le Ministre des Transports, Charles de Freycinet, en 1879. Les Belges ont élargi leurs canaux? qu’à cela ne tienne, on va le faire en France aussi !
La plupart des canaux sont concernés (la plupart mais pas tous, le Nivernais et le Berry ne seront pas agrandis). Pour le CRD, on se pose la question, car ce plan sera très coûteux… Mais afin de ne pas pénaliser le très important bassin industriel de St Etienne-Roanne, la décision est prise de l’inclure finalement, à la suite du Canal latéral à la Loire et du Canal du Centre. M. Mazoyer, ingénieur en chef des Ponts et Chaussée, et la Chambre de Commerce de Roanne ont eu gain de cause, avec les mêmes arguments qui valaient déjà en 1822 pour la création du canal.
Mais, comme le dit l’adage, Rome ne s’est pas faite en un jour et il faut attendre 1897 pour que les travaux d’élargissement commencent chez nous, pour durer jusqu’en 1903. Des travaux pharaoniques, pour un coût de 8,640 millions de Francs, une véritable fortune à l’époque !
Les Ports de Roanne et de Digoin sont totalement réaménagés pour prendre leurs dimensions actuelles. A Roanne, les digues qui protègent le port des crues de la Loire sont rehaussés (plusieurs crues au XIXè siècle l’ont régulièrement endommagé), des quais hauts et maçonnés sont construits, afin de faciliter les transbordements. Et ô miracle! le chemin de fer arrive enfin directement au port, après des décennies de bras de fer entre la société de chemin de fer PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) et la ville de Roanne. Le port atteint ses dimensions actuelles: 830 mètres de long pour 75 mètres de large.
Le port de Roanne prend ses dimensions actuelles. Le chemin de fer amène enfin le charbon directement au port.
Crédit Médiathèque de Roanne cote CP 2A-62
Des ouvrages d’art nombreux, impressionnants sont construits tout au long du canal: digues hautes de 14 mètres à Iguerande, cuvette maçonnée longue de plusieurs centaines de mètres à Artaix, ponts-aqueducs, pont rivière de l’Oudan, ponts-canaux…
Construction de la cuvette maçonnée à Artaix.
Crédit Musée de la Tour du Moulin, Marcigny, cote Prov-1679-02
Installation de la bâche d’acier qui forme le pont-rivière de l’Oudan, par-dessus le canal.
Crédit Musée de la Tour du Moulin, Marcigny, cote Prov-1675-04
Pont Aqueduc, sous la cuvette maçonnée à Artaix, pour permettre le passage de la route menant au Bourg.
Crédit Musée de la Tour du Moulin, Marcigny, cote Prov-16870-02
On conserve 53 ponts routiers qui franchissent le canal, tous réaménagés en ponts fixes, plus hauts que les précédents. On redresse par endroit le tracé du canal, trop sinueux pour laisser passer les futures grandes péniches. De 13 écluses, on passe à 10 et pour racheter le dénivelé, on construit 3 écluses à grandes chutes, qui font toujours partie des 10 plus hautes de France: 2 écluses avec une chute d’eau de 6 mètres, à Artaix et Chassenard, et la plus haute, à Bourg-le-Comte: 7,19 mètres de chute d’eau pour un dénivelé de 11 mètres… Croyez-moi, on se sent tout petit lorsqu’on la passe, cette écluse-là !
Travaux de terrassement, pour la construction de l’écluse à grande chute de Bourg-le-Comte.
Crédit Musée de la Tour du Moulin, Marcigny, cote Prov-1693-02
Le canal de Roanne à Digoin va donc pouvoir accueillir les péniches dites «au gabarit Freycinet»: 38 mètres de long, 5 m de large, nécessitant un mouillage à 2,20 mètres, elles peuvent transporter 250 tonnes.
Un berrichon (à gauche) et une péniche «Freycinet» (à droite),
amarrés à couple. On comprend la différence de tonnage!
Crédit photo ACRD
C’est un tout nouveau «Canal Tranquille» qui rouvre à la navigation en 1905 et vous ne cesserez pas de vous étonner de cette concentration d’ouvrages d’art sur seulement 55,6 km !
Ecluse à Grande chute de Bourg-Le Comte, en cours de construction.
Crédit Musée de la Tour du Moulin, Marcigny, cote Prov-1688-02
Construction de l’écluse à grande chute de Chassenard.
Crédit Musée de la Tour du Moulin, Marcigny, cote Prov 1699-02
Difficile à imaginer aujourd’hui, mais à partir de ce moment-là, ce sont plus de 100 péniches qui empruntent chaque jour le CRD… La vie des mariniers et de tout ce petit monde un peu à part le long de la voie d’eau reprend son cours… qui ne restera pas tranquille très longtemps.
Chantier naval Roanne vers 1905.A l’époque les péniches sont encore essentiellement construites en bois.
Crédit Médiathèque de Roanne CP 2F-2
Péniches au port. La fête de l’aviation à Roanne n’est pas récente, la preuve ici avec la venue de Rolland Garros, pour une exhibition au-dessus du port en 1912.
Crédit Médiathèque de Roanne CP9J-19
Tant que le fret fluvial durera, le chômage (période d’arrêt de la navigation) se fera pendant un mois en août, pour permettre l’entretien des voies d’eau. Mais certains hivers, il peut arriver que la navigation doive s’interrompre, quand les canaux sont pris par les glaces. Ce qui fait le bonheur des patineurs !
Crédit Médiathèque de Roanne CP 2A-50
Péniches amarrées à couple sur le canal en hiver.
Crédit Médiathèque de Roanne CP 2H-8
