L’histoire du

Canal 

Du canal de Roanne à Digoin

Petite escale chez un ancien marinier

Rencontre avec Alain Brisset, ancien marinier merlin, chambilly, luneau et la croix rouge


Je vous causais du canal après-guerre, voilà quelqu’un qui va pouvoir nous en parler ! 


Approchez, approchez, je vous présente Alain Brisset, ancien marinier, qui a très bien connu notre canal à l’époque où le fret y avait encore droit de cité! Vous, au fond, ne vous inquiétez pas, vous ne manquerez rien de son récit, on peut dire qu’il a la voix qui porte ! 


Bonjour M. Brisset, merci de nous accueillir à bord de la Virginie, le bateau sur lequel vous avez pris votre retraite. Parlez-nous de la vie des mariniers, vous qui l’avez si bien connue !


«Bonjour, Bonjour, soyez les bienvenus! eh oui, j’ai la voix qui porte, mais que voulez-vous, il fallait bien pouvoir s’annoncer aux écluses! ça ne fait pas si longtemps finalement qu’il y a des radios sur les bateaux, dans le temps, il fallait pouvoir donner de la voix, surtout les jours de brouillard !


Alors oui, je l’ai bien connu ce Canal de Roanne à Digoin, parce que déjà, je suis né à Roanne! En 1947! Mes parents étaient mariniers, évidemment, c’était un métier qu’on se passait de père en fils !

Mon père, quand il était jeune homme, avait un bérichon, un bateau plus étroit que les péniches à gabarit Freycinet. On les appelait comme ça, parce que c’était les seuls bateaux à pouvoir naviguer sur le Canal du Berry, qui n’a pas été élargi comme la plupart des autres à la fin du XIXè siècle.


Après, quand il s’est marié, il a pris une Freycinet. «l’Ecuisses». Ce bateau ne vous est peut-être pas inconnu, c’est lui qui a servi de décor pour le film «La Belle Marinière», qui a été tourné en 1964 sur le Canal de Roanne à Digoin! Ah, ça nous a fait des souvenirs! c’est qu’il y avait des vedettes! Jean Richard, ça n’était pas n’importe qui! ah ah !



Mais revenons un peu en arrière… Quand j’étais petiot, avec mon frère, on vivait sur la péniche avec nos parents. A l’époque, on chargeait du charbon à Montceau-les-Mines, et on déchargeait à Roanne. Et le charbon de St Etienne, me direz-vous? Il part ailleurs, en train, et c’est le charbon de Montceau qui alimente les usines et les foyers de Roanne. On jouait souvent dans le charbon, mon frère et moi, on se retrouvait tout barbouillé, alors le soir, ma mère sortait la bassine et nous frottait bien jusqu’à ce qu’on soit tout propre! hors de question de rentrer dans la cabine et de mettre de la poussière de charbon partout !


Et l’école? et bien, on n’y allait pas. Enfin si, un peu… mais vous savez, les mariniers avaient rarement de l’éducation. Certains savaient juste assez lire et écrire pour remplir les papiers dans les ports, et encore… Moi, je n’ai quitté mes parents que deux ans, pour aller à l’école, à Bourg le Comte. J’étais en pensions dans une gentille famille de paysans, leur ferme était tout prêt de la grande écluse. Jamais trop loin du canal, hein? ahah !


Après ça, je suis retourné vivre sur «l’Écuisses»… Mes parents ont continué jusqu’en 1962, mais ça devenait dur de gagner sa croûte… On chargeait le charbon à Montceau, on déchargeait à Roanne, mais il n’y avait plus guère de marchandises qui partaient, à part des fois, des chargements de bouteilles d’eau minérale. Et naviguer à vide, c’est pas bon, on perd des sous. Alors en 1962, mes parents ont arrêté. Ils ont désarmé la péniche, et cherché du travail à terre. Il n’y a pas que le charbon qui arrivait au port, il y avait aussi de la ferraille, du gaz, du sucre, du ciment, du café, et du sable blanc, qui venait de Nemours, et qui partait par trains entiers jusqu’aux verreries de St Etienne. Mon père à trouvé à s’employer dans des fabriques, ma mère comme femme de ménage à l’hôpital. C’est qu’une marinière savait tenir son intérieur !



Moi, j’avais 15 ans… J’ai travaillé un peu à terre, dans des fabriques, la Papeterie Navarre par exemple, juste au bord du canal… Mais la vie à terre, c’était pas fait pour moi. Alors quand mon frère a décidé de reprendre le flambeau je suis parti avec lui !


Mon frère a racheté une péniche, deux beaux percherons, et hop! eh oui, à l’époque, on avait encore des chevaux pour tirer les péniches. Il n’y avait pas beaucoup de mariniers qui avaient les moyens de faire installer un moteur sur leur bateau… Les chevaux, ça coûtait moins cher, et le soir, on trouvait à les loger chez les cafetiers, au bord du canal, pour pas bien cher, voire contre un peu de charbon. On échangeait le fumier contre des légumes chez les éclusiers, ah pour sûr, ils avaient de beaux légumes les éclusiers, avec tout le fumier qu’on leur donnait! C’est qu’il y avait de la vie le long du canal. Il passait une bonne quarantaine de bateaux par jour, encore à l’époque, alors au bord du canal, on trouvait tous les commerces pour se ravitailler, des boulangeries, des épiceries, même des magasins de vêtements et de chaussures. Et des cafés! ça, il n’en manquait pas! c’est qu’il fallait bien se donner du cœur à l’ouvrage !


A cette époque, on amenait du charbon à Roanne, et en repartant, on chargeait des briques à Briennon. A la main et à la brouette! ça ne payait pas bien, c’était dur, mais on aimait cette vie-là. L’affréteur payait la moitié du prix du fret au chargement, et on touchait le reste à l’arrivée, si la cargaison était réputée complète. Pour trouver des transports, on se rendait le lundi, le mercredi ou le vendredi à la capitainerie. Les affréteurs affichaient les offres, on faisait son choix, on présentait la «fiche de situation d’un bateau vide», qui prouvait qu’on pouvait accepter un nouveau transport.


Le soir, on retrouvait les collègues mariniers, sur le chemin de halage ou au café, on échangeait des nouvelles des copains croisés au hasard des canaux, ou de ceux, de plus en plus nombreux, qui arrêtaient.


Par la suite, pour pouvoir continuer à vivre de mon métier, une fois que j’ai eu mon propre bateau à moteur, avec ma femme, on a dû aller plus loin. On chargeait des briques à Briennon, pour les mener jusqu’à Paris, à Paris on chargeait d’autres marchandises, jusqu’en Belgique… On en faisait des kilomètres sur une année!

Nos enfants, on ne les voyait pas souvent. On les avait envoyés en pension à l’école des mariniers, il n’y en avait que quelques-unes en France, à Saint-Mamet, Lille ou Châlons-sur-Saône. Quand arrivaient les vacances, on laissait la péniche à quai et on prenait le train pour aller les chercher.


Les bateaux s’étaient modernisés, tous avaient un moteur, il n’y avait plus de chevaux sur le chemin de halage. On nous a installé des radiotéléphones pour communiquer avec les écluses, les affréteurs, les cantonniers du canal qui nous prévenaient en cas de pépin. Quand j’ai fini par passer mon permis de conduire, j’ai même pu mettre une petite grue sur la péniche, pour charger et décharger ma petite auto. 


Les redevances de navigation aussi avaient changé! On payait 35 centimes de francs par kilomètre, et chaque écluse comptaient pour 1 km! ça devenait de plus en plus difficile de s’en sortir…


Sur la fin, je ne naviguais plus que sur les canaux du Nord, de Belgique, des Pays-Bas, d’Allemagne… Il n’y a que là-haut que le fret a toujours continué. Par ici… Tout s’est arrêté dans les années 1980. Les trains, les camions surtout, avaient remplacé les péniches. Le fret s’est arrêté sur le Canal de Roanne à Digoin en 1986. Pas mal d’usines ont fermé aussitôt, des tuileries et briqueteries surtout, Briennon, Iguerande, Melay, Chambilly, Bourg le Comte… Trop loin des grandes routes pour que les gros poids lourds puissent commodément s’y rendre, elles n’avaient existé que grâce au canal.


A la fin des années 1980, j’ai tout arrêté. Le fret ne payait plus, l’Etat imposait de mettre les bateaux aux normes, c’était trop cher pour moi. J’ai revendu ma péniche, la mort dans l’âme. A l’époque l’Etat payait bien pour qu’on les envoie à la ferraille, les péniches désarmées, mais je n’avais pas le cœur d’envoyer la mienne à la destruction. J’ai trouvé une dame qui me l’a rachetée, pour en faire un restaurant. Elle existe toujours, à quai, vers Melun. Comme je n’avais pas droit à une retraite suffisante, j’ai passé le permis bateau pour les transports de passagers et j’ai travaillé dans le tourisme depuis 30 ans. Et je continue! Il n’est pas rare encore maintenant que je prenne la barre du «Ville de Digoin» pour promener les touristes sur les canaux alentours!


Et je vis toujours sur l’eau !

 

Et tant qu’il me restera un souffle de vie, je me battrai pour que nos canaux continuent d’exister !




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