Un canal plébiscité… ou pas
Donc, ça y est, c’est décidé, le Canal de Roanne à Digoin va voir le jour!
En 1827, une compagnie Franco-suisse et fondée, elle obtient par une loi du 29 mais la concession à perpétuité du canal et prend le nom de Compagnie du Canal de Roanne à Digoin. Son importance dans le développement de la ville sera telle qu’elle laissera le nom de «Carrefour helvétique» au carrefour situé à proximité de ses bureaux (actuelle Sous-Préfecture). Une compagnie privée? eh oui! car à l’époque, et depuis déjà longtemps, hors de question que ce soit l’Etat qui investisse pour la construction des canaux. Ce sont des sociétés privées qui investissent, et font ensuite payer des droits de navigation sur toutes les marchandises qui les empruntent !
Et le projet du Canal a des opposants farouches: les défenseurs du Chemin de Fer! Des compagnies privées voient le jour, qui voudraient bien faire avorter tous ces projets de canaux pour obtenir le monopole sur le transport du fret et ainsi imposer leurs tarifs… Ce que le gouvernement ne veut absolument pas! Qui dit concurrence dit bataille des prix et donc limitation des coûts de transport…
Alors qu’à Paris et St Etienne, ainsi qu’à la Chambre de Commerce de Roanne, on se félicite de cette décision, les populations locales, elles, ne voient pas du tout ce projet d’un très bon œil, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les Mariniers de la Loire, au port de Roanne, savent que leur gagne-pain est en jeu: le canal, qui permettra la navigation toute l’année, et dans les 2 sens, alors qu’eux ne peuvent pas remonter le fleuve, signe l’arrêt de mort de leur profession. Et même s’il restera des rambertes sur la Loire pendant encore quelques décennies, les mariniers le savent, leur temps est compté.
Cadastre de Digoin, montrant le tracé initial du Canal du Centre, et le nouveau bief construit en vue de son raccordement au Canal Latéral à la Loire
Ville de Digoin
Ensuite, le canal, qui doit passer en rive gauche de la Loire, doit traverser des zones agricoles importantes. Or, seuls quelques ponts sont prévus dans le projet initial, pour permettre aux principales routes de le franchir.
Quid des paysans qui doivent pouvoir accéder à leurs pâturages en bord de Loire, ou qui vont carrément voir leurs fermes coincées entre fleuve et canal? Comment aller aux champs, emmener les bêtes à la foire ou leurs produits au marché, si le canal devient une barrière infranchissable et oblige à des kilomètres de détour pour trouver un pont? En cela, la Loire n’est plus un problème depuis longtemps: faute de ponts nombreux qui résistent difficilement aux crues régulières, chaque village à son bac qui permet de la traverser et on peut même la franchir à gué lorsqu’elle est au plus bas. Mais on ne peut pas traverser un canal en bac…
Les élus locaux, qui soutiennent le projet mais craignent pour leur réélection, parviennent à arracher une concession en faisant modifier les plans initiaux: plus d’une cinquantaine de ponts (pont-levis, tournants ou à bascule), permettront de traverser la nouvelle voie d’eau.
Mais il reste un sujet particulièrement épineux… Il faut que la Compagnie rachète les terrains nécessaires et tout ne va pas bien se passer du tout, loin de là!!! Alors que quelques gros propriétaires terriens proposent leurs parcelles à prix d’or dès le début du projet, les petits paysans, qui survivent souvent sur des exploitations peu rentables, notamment sur les communes de Bourg-le-Comte, Avrilly, Luneau ou Chassenard, ne veulent pas perdre le peu de terres qu’ils possèdent… Ceux-là finiront par être expropriés par décision de justice, ne recevant que des indemnités minuscules, parfois des mois et des mois plus tard. Il faudra des années pour que les esprits s’apaisent, et certains menaceront pendant longtemps d’aller saper chaque nuit le chantier pour se venger d’avoir perdu leur bien…
Mais finalement, ça y est, en 1832 tous les terrains nécessaires sont en possession de la Compagnie du Canal de Roanne à Digoin, le chantier peut commencer !
